Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/385

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vantable, aussi belle. Je voyais d’un lieu élevé ; j’étais, je crois, à la fenêtre d’un palais, et plusieurs personnes étaient auprès de moi. C’était pendant la nuit, mais elle était éclairée. La lune et Saturne paraissaient dans le ciel, entre des nuages épars, et entraînés rapidement, quoique tout le reste fût calme. Saturne était près de la terre ; il paraissait plus grand que la lune, et son anneau, blanc comme le métal que le feu va mettre en fusion, éclairait la plaine immense cultivée et peuplée. Une longue chaîne, très-éloignée, mais bien visible, de monts neigeux, élevés, uniformes, réunissait la plaine et les cieux. J’examinais : un vent terrible passe sur la campagne, enlève et dissipe culture, habitations, forêts ; et en deux secondes ne laisse qu’un désert de sable aride, rouge et comme embrasé par un feu intérieur. Alors l’anneau de Saturne se détache, il glisse dans les cieux, il descend avec une rapidité sinistre, il va toucher la haute cime des neiges ; et en même temps elles sont agitées et comme travaillées dans leurs bases ; elles s’élèvent, s’ébranlent, et roulent sans changer, comme les vagues énormes d’une mer que le tremblement du globe entier soulèverait. Après quelques instants, des feux vomis du sommet de ces ondes blanches retombent des cieux où ils se sont élancés, et coulent en fleuves brûlants. Les monts étaient pâles et embrasés selon qu’ils s’élevaient ou s’abaissaient dans leur mouvement lugubre ; et ce grand désastre s’accomplissait au milieu d’un silence plus lugubre encore.

Vous pensez sans doute que, dans cette ruine de la terre, je m’éveillai plein d’horreur avant la catastrophe ; mais mon songe n’a pas fini selon les règles. Je ne m’éveillai point ; les feux cessèrent, l’on se trouva dans un grand calme. Le temps était obscur ; on ferma les fenêtres, on se mit à jaser dans le salon, nous parlâmes du feu d’artifice, et mon rêve continua.