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cinquante batailles, il a vaincu l’Occident ; il a passé. Mahomet, Pythagore, ont passé. Le cèdre qui ombrageait les troupeaux a passé comme le gramen que les troupeaux foulaient.

Plus on cherche à voir, plus on se plonge dans la nuit. Tous agissent pour se conserver et se reproduire : la fin de leurs actions est visible, comment celle de leur être ne l’est-elle pas ? L’animal a les organes, les forces, l’industrie pour subsister et se perpétuer ; il agit pour vivre, et il vit ; il agit pour se reproduire, et il se reproduit. Mais pourquoi vivre ? pourquoi se perpétuer ? Je n’entends rien à cela. La bête broute et meurt ; l’homme mange et meurt. Un matin je songeais à tout ce qu’il fait avant de mourir ; j’eus tellement besoin de rire, que je tirai deux fois le cordon. Mais en déjeunant nous ne pûmes jamais rire ; ce jour-là Fonsalbe imagina de trouver du sérieux dans les arts, dans la gloire, dans les hautes sciences, dans la métaphysique des trinités, je ne sais encore dans quoi. Depuis ce déjeuner, j’ai remis sur ma table De l’Esprit des choses, et j’en ai lu un volume presque entier.

Je vous avoue que ce système de la réparation du monde ne me choque point du tout. Il n’est pas moderne, mais cela ne peut lui donner que plus d’autorité. Il est grand, il est spécieux. L’auteur est entré dans ces profondeurs, et j’ai pris le parti de lui savoir gré de l’extrême obscurité des termes ; on en sera d’autant moins frappé de celle des choses. Je croirais volontiers que cette hypothèse d’une dégradation fortuite, et d’une lente régénération ; d’une force qui vivifie, qui élève, qui subtilise, et d’une autre qui corrompt et qui dégrade, n’est pas le moins plausible de nos rêves sur la nature des choses. Je voudrais seulement qu’on nous dît comment s’est faite ou du moins comment s’est dû faire cette grande révolution ; pourquoi le monde échappa ainsi à l’Éternel ; com-