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silence, on peut le trouver dans une ville. Ce n’était pas seulement pour imposer aux peuples ; un simple miracle de la Magie eût été plus tôt fait, et n’eût pas eu moins de pouvoir sur les imaginations. Mais l’âme la moins assujettie n’échappe pas entièrement à l’empire de l’habitude, à cette conclusion si persuasive pour la foule, et spécieuse pour le génie lui-même, à cet argument de la routine qui tire de l’état le plus ordinaire de l’homme un témoignage naturel et une preuve de sa destination. Il faut se séparer des choses humaines, non pas pour voir qu’elles pourraient être changées, mais pour oser le croire. On n’a pas besoin de cet isolement pour imaginer les moyens qu’on veut employer, mais pour en espérer le succès. On va dans la retraite, on y vit ; l’habitude des choses anciennes s’affaiblit, l’extraordinaire est jugé sans partialité, il n’est plus romanesque : on y croit, on revient, on réussit.

Je me rapprochai de la route avant le retour de Fonsalbe. J’étais très-mouillé ; il prétendit qu’on eût pu arriver jusqu’à l’endroit même de la chute sans cet inconvénient-là. C’est où je l’attendais : il réussit d’abord ; mais la colonne d’eau qui s’élève était très-mobile, quoiqu’il n’y eût aucun vent sensible dans la vallée. Nous allions nous retirer, lorsqu’en une seconde il fut inondé ; alors il se laissa entraîner, et je le menai à la place même où je m’étais assis. Mais je craignais que les variations inopinées de la pression de l’air n’affectassent sa poitrine, moins forte que la mienne ; nous nous retirâmes presque aussitôt. J’avais essayé en vain de m’en faire entendre autrement que par signes ; mais, lorsque nous fûmes éloignés de plusieurs toises, je lui demandai, avant que son étonnement cessât, ce que devenaient dans une semblable situation les habitudes de l’homme, ou même ses affections les plus puissantes, et les passions qu’il croit indomptables.