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traits profonds du malheur. Son œil, qui n’exprime ordinairement qu’une sorte de repos et de découragement, est fait pour tout exprimer ; sa tête a quelque chose d’extraordinaire, et, au milieu de son calme habituel, si une idée grande, si un sentiment énergique vient l’éveiller, il prend, sans y penser, l’attitude muette du commandement. J’ai vu admirer un acteur qui disait fort bien le Je le veux, je l’ordonne, de Néron ; mais Fonsalbe le dirait mieux.

Je vous parle sans partialité. Il n’est pas aussi égal intérieurement qu’au dehors ; mais, s’il a le malheur ou le défaut de ne pouvoir être heureux, il a trop de sens pour être mécontent. C’est lui qui achèvera de guérir mon impatience : il a pris son parti, et de plus il m’a prouvé, sans réplique, que je devais prendre le mien. Il prétend que lorsque avec la santé on a une vie indépendante, et que l’on n’a que cela, il faut être un sot pour être heureux, et un fou pour être malheureux. D’après quoi vous sentez que je ne pouvais dire autre chose, sinon que je n’étais ni heureux ni malheureux : je l’ai dit, et maintenant il faut que je m’arrange de manière à avoir dit vrai.

Je commence pourtant à trouver quelque chose de plus que la vie indépendante et la santé. Fonsalbe sera un ami, et un ami dans ma solitude. Je ne dis pas un ami tel que nous l’entendions autrefois. Nous ne sommes plus dans un âge d’héroïsme. Il s’agit de passer doucement ses jours : les grandes choses ne me regardent pas. Je m’attache à trouver bon, vous dis-je, ce que ma destinée me donne : le beau moyen pour cela que de rêver l’amitié à la manière des anciens ! Laissons les amis selon l’antiquité, et les amis selon les villes. Imaginez un terme moyen. Que cela ? direz vous. Et moi je vous dis que c’est beaucoup.