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conceptions désenchantées, où l’on vit dans l’oubli des prestiges, dans l’étude sans voile des sciences positives et démontrées ?

Je voudrais ne rien ôter de la tête de ceux qui l’ont déjà assez vide pour dire : S’il n’y avait pas d’enfer, ce ne serait pas la peine d’être honnête homme. Peut-être arrivera-t-il cependant que je sois lu par un de ces hommes-là. Je ne me flatte pas qu’il ne puisse résulter aucun mal quelconque de ce que je ferai dans l’intention de produire un bien ; mais peut-être aussi diminuerai-je le nombre de ces bonnes âmes qui ne croient au devoir qu’en croyant à l’enfer. Peut-être parviendrai-je à ce que le devoir reste, quand les reliques et les démons cornus auront achevé de passer de mode.

On ne peut pas éviter que la foule elle-même en vienne plus ou moins vite, et certainement dans peu de temps, à mépriser l’une des deux idées qu’on l’a très-imprudemment habituée à ne recevoir qu’ensemble : il faut donc lui prouver qu’elles peuvent très-bien être séparées sans que l’oubli de l’une entraîne la subversion de l’autre.

Je crois que ce moment s’approche beaucoup : l’on reconnaîtra plus universellement la nécessité de ne plus fonder sur ce qui s’écroule cet asile moral, hors duquel on vivrait dans un état de guerre secrète, et au milieu d’une perfidie plus odieuse que les vengeances et les longues haines des hordes sauvages.

LETTRE LXXXII.

Im., 6 août, IX.

Je ne sais si je sortirai de mes montagnes neigeuses, si j’irai voir cette jolie campagne dont vous me faites une description si intéressante, où l’hiver est si facile et le printemps si doux, où les eaux vertes brisent leurs vagues nées en Amérique. Celles que je vois ne viennent