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être elle choisit dans les possibles qui résultent de l’essence nécessaire des choses, et la nature de ces possibles contenus dans une sphère limitée est telle, que le monde ne pouvant exister que selon de certains modes, chaque chose néanmoins est susceptible de plusieurs modifications différentes. L’intelligence n’est pas souveraine de la matière, mais elle l’emploie : elle ne peut ni la faire, ni la détruire, ni la dénaturer ou en changer les lois ; mais elle peut l’agiter, la travailler, la composer. Ce n’est pas une toute-puissance ; c’est une industrie immense, mais pourtant bornée par les lois nécessaires de l’essence des êtres ; c’est une alchimie sublime que l’homme appelle surnaturelle, parce qu’il ne peut la concevoir.

Vous me dites que voilà deux systèmes opposés, et qu’on ne saurait admettre en même temps. J’en conviens ; mais il n’y a point là de contradiction, je ne vous les donne que pour des hypothèses : non-seulement je ne les admets pas tous deux, mais je n’admets positivement ni l’un ni l’autre, et je ne prétends pas connaître ce que l’homme ne connaît point.

Tout système général sur la nature des êtres et les lois du monde n’est jamais qu’une idée hasardée. Il se peut que quelques hommes aient cru à leurs songes ou aient voulu que les autres y crussent ; mais c’est un charlatanisme ridicule ou un prodige d’entêtement. Pour moi, je ne sais que douter, et si je dis positivement : Tout est nécessaire, ou bien : Il est une force secrète qui se propose un but que quelquefois nous pouvons pressentir, je n’emploie ces expressions affirmatives que pour éviter de répéter sans cesse : Il me semble, je suppose, j’imagine. Cette manière de parler ne saurait annoncer que je m’en prétende certain, et je ne dois pas craindre que l’on s’y trompe ; quel homme, s’il n’est en démence, s’avisera d’affirmer ce qu’il est impossible que l’on sache ?