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« N’est-il pas arrivé plusieurs fois que le sentiment du bonheur nous ait entraînés dans un abîme de maux, que nos désirs les plus naturels aient altéré notre nature, et que nous nous soyons avidement enivrés d’amertumes ? On a toute la candeur de la jeunesse, tous les désirs de l’inexpérience, les besoins d’une vie nouvelle, l’espérance d’un cœur droit. On a toutes les facultés de l’amour ; il faut aimer. On a tous les moyens du plaisir ; il faut être aimée. On entre dans la vie ; qu’y faire sans amour ? On a beauté, fraîcheur, grâce, légèreté, noblesse, expression heureuse. Pourquoi l’harmonie de ces mouvements, cette décence voluptueuse, cette voix faite pour tout dire, ce sourire fait pour tout entraîner, ce regard fait pour changer le cœur de l’homme ? pourquoi cette délicatesse du cœur et cette sensibilité profonde ? L’âge, le désir, les convenances, l’âme, les sens, tout le veut ; c’est une nécessité. Tout exprime et demande l’amour : cette peau si douce et d’un blanc si heureusement nuancé ; cette main formée pour les plus tendres caresses ; cet œil dont les ressources sont inconnues s’il ne dit pas : Je consens à être aimée ; ce sein qui, sans amour, est immobile, muet, inutile, et qui se flétrirait un jour sans avoir été divinisé ; ces formes, ces contours qui changeraient sans avoir été connus, admirés, possédés ; ces sentiments si tendres, si voluptueux et si grands, l’ambition du cœur, l’héroïsme de la passion ! Cette loi délicieuse, que la loi du monde a dictée, il faut la suivre. Ce rôle enivrant, que l’on sait si bien, que tout rappelle, que le jour inspire, et que la nuit commande, quelle femme jeune, sensible, aimante, imaginera de ne le point remplir ?

« Aussi ne l’imagine-t-on pas. Les cœurs justes, nobles, purs, sont les premiers perdus. Plus susceptibles d’élévation, ils doivent être séduits par celle que l’amour donne.