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tantes. C’est également un excès de ne rien faire pour elles ou de n’agir que pour elles. Les grandes choses que l’on exécute sont belles de leur seule grandeur, et sans qu’il soit besoin de songer à les produire, à les faire valoir ; il n’en saurait être de même de celles que l’on pense. La fermeté de celui qui périt au fond des eaux est un exemple perdu ; la pensée la plus juste, la conception la plus sage le sont également, si on ne les communique pas ; leur utilité dépend de leur expression, c’est leur célébrité qui les rend fécondes.

Il faudrait peut-être que des écrits philosophiques fussent toujours précédés par un bon livre d’un genre agréable, qui fût bien répandu, bien lu, bien goûté[1]. Celui qui a un nom parle avec plus de confiance ; il fait plus et il fait mieux, parce qu’il espère ne pas faire en vain. Malheureusement on n’a pas toujours le courage ou les moyens de prendre des précautions semblables ; les écrits, comme tant d’autres choses, sont soumis à l’occasion même inaperçue ; ils sont déterminés par une impulsion souvent étrangère à nos plans et à nos projets.

Faire un livre seulement pour avoir un nom, c’est une tâche : elle a quelque chose de rebutant et de servile, et quoique je convienne des raisons qui semblent me l’imposer, je n’ose l’entreprendre, et je l’abandonnerais.

Je ne veux cependant pas commencer par l’ouvrage que je projette. Il est trop important et trop difficile pour que je l’achève jamais ; c’est beaucoup si je le vois approcher un jour de l’idée que j’ai conçue. Cette perspective trop éloignée ne me soutiendrait pas. Je crois qu’il est bon que je me fasse auteur, afin d’avoir le courage de continuer à l’être. Ce sera un parti pris et déclaré ; en sorte que je le suivrai comme pour remplir ma destination.

  1. Ainsi l’Esprit des lois le fut par les Lettres persanes.