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ses amusements mêmes à un ordre qui lui soit personnel, et les rendre ainsi les instruments d’une sorte de passion qui ne finisse qu’avec lui. Je trouvai remarquable ce qu’il me disait : le lendemain matin, voyant que je me le rappelais assez bien, je me mis à l’écrire pour le garder parmi mes notes. Le voici : par paresse, je ne veux pas le transcrire, mais vous me le renverrez.

« J’ai voulu avoir un état, je l’ai eu ; et j’ai vu que cela ne menait à rien de bon, du moins pour moi. J’ai encore vu qu’il n’y avait qu’une chose extérieure qui pût valoir la peine qu’on s’en inquiétât : c’est l’or. Il en faut, et il est aussi bon d’en avoir assez qu’il est nécessaire de n’en pas chercher immodérément. L’or est une force : il représente toutes les facultés de l’homme, puisqu’il lui ouvre toutes les voies, puisqu’il lui donne droit à toutes les jouissances ; et je ne vois pas qu’il soit moins utile à l’homme de bien qu’au voluptueux, pour remplir ses vues. J’ai aussi été dupe de l’envie d’observer et de savoir, je l’ai poussée trop loin ; j’ai appris avec beaucoup de peine des choses inutiles à la raison de l’homme, et que j’oublie dès à présent. Ce n’est pas qu’il n’y ait quelque volupté dans cet oubli, mais je l’ai payé trop cher. J’ai un peu voyagé, j’ai vécu en Italie, j’ai traversé la Russie, j’ai aperçu la Chine. Ces voyages-là m’ayant beaucoup ennuyé, quand je n’ai plus eu d’affaires, j’ai voulu voyager pour mon plaisir. Les étrangers ne parlaient que de vos Alpes ; j’y ai couru comme un autre.

« — Vous avez été dédommagé de l’ennui des plaines russes.

« — Je suis allé voir de quelle couleur est la neige dans l’été, si le granit des Alpes est dur, si l’eau descend vite en tombant de haut, et diverses autres choses semblables.

« — Sérieusement, vous n’en avez pas été satisfait ? vous