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marché dans les neiges de l’Equateur, et j’ai vu l’ardeur du jour allumer les pins sous le cercle polaire ; j’ai comparé les formes simples du Caucase avec les anfractuosités des Alpes, et les hautes forêts des monts Félices avec le granit nu de la Thébaïde ; j’ai vu l’Irlande toujours humide, et la Lybie toujours aride ; j’ai passé le long hiver d’Edimbourg sans souffrir du froid, et j’ai vu des chameaux gelés dans l’Abyssinie ; j’ai mâché le bétel, j’ai pris l’opium, j’ai bu l’ava ; j’ai séjourné dans une bourgade où l’on m’aurait cuit si l’on ne m’eût pas cru empoisonné, puis chez un peuple qui m’a adoré, parce que j’y apparaissais dans un de ces globes dont le peuple d’Europe s’amuse ; j’ai vu l’Esquimau satisfait avec ses poissons gâtés et son huile de baleine ; j’ai vu le faiseur d’affaires mécontent de ses vins de Chypre et de Constance ; j’ai vu l’homme libre faire deux cents lieues à la poursuite d’un ours ; et le bourgeois manger, grossir, peser sa marchandise et attendre l’extrême-onction dans la boutique sombre que sa mère achalanda. La fille d’un mandarin mourut de honte parce qu’une heure trop tôt son mari avait aperçu son pied découvert ; dans le Pacifique, deux jeunes filles montèrent sur le pont, prirent à la main l’unique vêtement qui les couvrait, s’avancèrent ainsi nues parmi les matelots étrangers, en emmenèrent à terre, et jouirent à la vue du navire. Un sauvage se tua de désespoir devant le meurtrier de son ami ; le vrai fidèle