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encore de faire différemment. Si je savais qui partagera ma manière de vivre, je saurais selon quels besoins et quels goûts il faut que je la dispose. Si je pouvais être assez utile dans ma vie domestique, je verrais à borner là toute considération de l’avenir ; mais, dans l’ignorance où je suis de ceux avec qui je vivrai et de ce que je deviendrai moi-même, je ne veux point rompre des rapports qui peuvent devenir nécessaires, et je ne puis adopter des habitudes trop particulières. Je vais donc m’arranger selon les lieux, mais d’une manière qui n’écarte de moi personne de ceux dont on peut dire : C’est un des nôtres.

Je ne possède pas un bien considérable ; et ce n’est point d’ailleurs dans un vallon des Alpes que j’irais introduire un luxe déplacé. Ces lieux-là permettent la simplicité que j’aime. Ce n’est pas que les excès y soient ignorés, non plus que les besoins d’opinion. L’on ne peut pas dire précisément que le pays soit simple, mais il convient à la simplicité. L’aisance y semble plus douce qu’ailleurs, et le luxe moins séduisant. Beaucoup de choses naturelles n’y sont pas encore ridicules. Il n’y faut pas aller vivre, si on est réduit à très-peu ; mais si on a seulement assez, on y sera mieux qu’ailleurs.

Je vais donc m’y arranger comme si j’étais à peu près sûr d’y passer ma vie entière. J’y vais établir en tout la manière de vivre que les circonstances m’indiquent. Après que je me serai pourvu des choses nécessaires, il ne me restera pas plus de huit mille livres d’un revenu clair ; mais ce sera suffisant, et j’y serai moins gêné avec cela qu’avec le double dans une campagne ordinaire, ou le quadruple dans une grande ville.