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pourtant tenir beaucoup à les continuer. Mais si je ne fais pas plus sagement, c’est que je ne puis parvenir à y mettre de l’importance. Je passe sur le lac la moitié du jour et la moitié de la nuit ; et quand je m’en éloignerai, je serai tellement habitué au balancement des vagues, au bruit des eaux, que je me déplairai sur un sol immobile et dans le silence des prés.

Les uns me prennent pour un homme dont quelque amour a un peu dérangé la tête, d’autres soutiennent que je suis un Anglais qui a le spleen ; les bateliers ont appris à Hantz que j’étais l’amant d’une belle femme étrangère qui vient de partir subitement de Lausanne. Il faudra que je cesse mes courses nocturnes, car les plus sensés me plaignent, et les meilleurs me prennent pour un fou. On lui a dit à Vevay : N’êtes-vous pas au service de cet Anglais dont on parle tant ? Le mal gagne ; et pour les gens de la côte, je crois qu’ils se moqueraient de moi si je n’avais pas d’argent : heureusement je passe pour fort riche. L’aubergiste veut absolument me dire, Milord ; et je suis très-respecté. Riche étranger, ou Milord, sont synonymes.

De plus, en revenant du lac, je me mets ordinairement à écrire, en sorte que je me couche quand il fait grand jour. Une fois les gens de l’auberge entendant quelque bruit dans ma chambre, et surpris que je me fusse levé sitôt, montèrent me demander si je ne prendrais rien le matin. Je leur répondis que je ne soupais point, et que j’allais me coucher. Je ne me lève donc qu’à midi, ou même à une heure ; je prends du thé, j’écris ; puis, au lieu de dîner, je prends encore du thé, je ne mange autre chose que du pain et du beurre, et aussitôt je vais au lac. La première fois que j’allai seul dans un petit bateau que j’avais fait chercher exprès pour cela, ils remarquèrent que Hantz restait au rivage, et que je partais à la fin du