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L’hypocrisie de l’amour est un des fléaux de la société. Pourquoi l’amour sortirait-il de la loi commune ? pourquoi n’être pas en cela, comme dans tout le reste, juste et sincère ? Celui-là seul est certainement éloigné de tout mal, qui cherche avec naïveté ce qui peut le faire jouir sans remords. Toute vertu imaginaire ou accidentelle m’est suspecte ; quand je la vois sortir orgueilleusement de sa base erronée, je cherche, et je découvre une laideur interne sous le costume des préjugés, sous le masque fragile de la dissimulation.

Permettez, autorisez des plaisirs, afin que l’on ait des vertus ; montrez la raison des lois, afin qu’on les vénère ; invitez à jouir, afin d’être écouté quand vous commandez de souffrir. Élevez l’âme par le sentiment des voluptés naturelles ; vous la rendrez forte et grande, elle respectera les privations légitimes ; elle en jouira même dans la conviction de leur utilité sociale. Je veux que l’homme use librement de ses facultés, quand elles n’attaquent point d’autres droits. Je veux qu’il jouisse, afin d’être bon ; qu’il soit animé par le plaisir, mais dirigé par l’équité visible ; que sa vie soit juste, heureuse et même voluptueuse. J’aime que celui qui pense raisonne ses devoirs ; je fais peu de cas d’une femme qui n’est retenue dans les siens que par une sorte de terreur superstitieuse pour tout ce qui appartient à des jouissances dont elle n’oserait s’avouer le désir.

J’aime qu’on se dise : Ceci est-il mal, et pourquoi l’est-il ? S’il l’est, on se l’interdit ; s’il ne l’est point, on en jouit avec un choix sévère, avec la prudence qui est l’art d’y trouver une volupté plus grande ; mais sans autre réserve, sans honte, sans déguisement[1].

  1. Vraisemblablement on objectera que le vulgaire est incapable de chercher ainsi la raison de ses devoirs, et surtout de le faire sans partialité. Mais cette difficulté n’est pas très-grande en elle-même, et n’existe guère que dans la confusion présente de la morale. D’ailleurs, dans des institutions différentes des nôtres, il n’y aurait peut-être pas des esprits aussi instruits que parmi nous, mais il n’y aurait certainement pas une foule aussi stupide, et surtout aussi trompée.