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et qui s’impose la nécessité de le trahir jusqu’au dernier jour, en laissant à ses affections l’enfant qui ne lui appartient pas ? De tous les engagements, le mariage n’est-il pas celui dans lequel la confiance et la bonne foi importent le plus à la sécurité de la vie ? Quelle misérable probité que celle qui paye scrupuleusement un écu, et compte pour un vain mot la promesse la plus sacrée qui soit entre les hommes ! Quelle moralité voulez-vous attendre de l’être qui s’attachait à persuader une femme en ce moquant d’elle, qui la méprise parce qu’elle a été telle qu’il la voulait, la déshonore parce qu’elle l’a aimé, la quitte parce qu’il en a joui, et l’abandonne quand elle a le malheur visible d’avoir partagé ses plaisirs[1] ? Quelle moralité, quelle équité voulez-vous attendre de cet homme, au moins inconséquent, qui exige de sa femme des sacrifices qu’il ne paye point, et qui la veut sage et inaccessible, tandis qu’il va perdre, dans des habitudes secrètes, l’attachement dont il l’assure, et qu’elle a droit de prétendre, pour que sa fidélité ne soit pas un injuste esclavage ?

Des plaisirs sans choix dégradent l’homme, des plaisirs coupables le corrompent ; mais l’amour sans passion ne l’avilit point. Il y a un âge pour aimer et jouir, il y en a un pour jouir sans amour. Le cœur n’est pas toujours jeune, et même, s’il l’est encore, il ne rencontre pas toujours ce qu’il peut vraiment aimer.

Toute jouissance est un bien lorsqu’elle est exempte et d’injustice et d’excès, lorsqu’elle est amenée par les convenances naturelles, et possédée selon les désirs d’une organisation délicate.

  1. Je n’ai pas encore découvert la différence entre le misérable qui rend une femme enceinte, puis l’abandonne, et le soldat qui, dans le saccage d’une ville, en jouit et l’égorge. Celui-ci serait-il moins infâme, et parce que du moins il ne la trompe pas, et parce que ordinairement il est ivre ?