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pendra de l’organisation individuelle et des circonstances déterminantes. Tout but d’un désir naturel est légitime ; tous les moyens qu’il inspire sont bons s’ils n’attaquent les droits de personne, et s’ils ne produisent dans nous-mêmes aucun désordre réel qui compense son utilité.

Vous avez trop étendu les devoirs. Vous avez dit : Demandons plus, afin d’obtenir assez. Vous vous êtes trompé ; si vous exigez trop des hommes, ils se rebuteront[1] ; si vous voulez qu’ils montrent des vertus chimériques, ils les montreront : ils disent que cela coûte peu. Mais parce que cette vertu n’est pas dans leur nature, ils auront une conduite cachée tout à fait contraire ; et parce que cette conduite sera cachée, vous ne pourrez en arrêter les excès. Il ne vous restera que ces moyens dangereux dont la vaine tentative augmentera le mal, en augmentant la contrainte et l’opposition entre le devoir et les penchants. Vous croirez d’abord que vos lois seront mieux suivies, parce que l’infraction en sera mieux masquée ; mais un jugement faux, un goût dépravé, une dissimulation habituelle, et des ruses hypocrites, en seront les véritables résultats.

Les plaisirs de l’amour contiennent de grandes oppositions physiques : ses désirs agitent l’imagination, ses besoins changent les organes ; c’est donc l’objet sur lequel la manière de sentir et de voir devait varier davan-

  1. Ce qui doit exalter l’imagination, déranger l’esprit, passionner le cœur et interdire tout raisonnement, réussit d’autant mieux qu’on y joint plus d’austérité ; mais il n’en est pas des institutions durables, des lois temporelles et civiles, des mœurs intérieures et de tout ce qui permet l’examen, comme de l’impulsion du fanatisme, dont la nature est de porter à tout ce qui est difficile, et de faire vénérer tout ce qui est extraordinaire. Cette distinction essentielle paraît avoir été oubliée. On a très-bien observé dans l’homme ses affections multipliées, et en quelque sorte les incidents de son cœur ; mais il reste à faire un grand pas au delà.