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ces monts tranquilles dont la vue a frappé mon enfance elle-même[1]. J’ignore où je m’arrêterai, mais écrivez-moi à Lausanne.

LETTRE II.

Lausanne, 9 juillet, I.

J’arrivai de nuit à Genève : j’y logeai dans une assez triste auberge, où mes fenêtres donnaient sur une cour ; je n’en fus point fâché. Entrant dans une aussi belle contrée, je me ménageais volontiers l’espèce de surprise d’un spectacle nouveau ; je la réservais pour la plus belle heure du jour ; je la voulais avoir dans sa plénitude, et sans affaiblir l’impression en l’éprouvant par degrés.

En sortant de Genève, je me mis en route, seul, libre, sans but déterminé, sans autre guide qu’une carte assez bonne, que je porte sur moi.

J’entrais dans l’indépendance. J’allais vivre dans le seul pays peut-être de l’Europe où, dans un climat assez favorable, on trouve encore les sévères beautés des sites naturels. Devenu calme par l’effet même de l’énergie que les circonstances de mon départ avaient éveillée en moi, content de posséder mon être pour la première fois de mes jours si vains, cherchant des jouissances simples et grandes avec l’avidité d’un cœur jeune, et cette sensibilité, fruit amer et précieux de mes longs ennuis, j’étais ardent et paisible. Je fus heureux sous le beau ciel de Genève (B), lorsque le soleil, paraissant au-dessus des hautes neiges, éclaira à mes yeux cette terre admirable. C’est près de Coppet que je vis l’aurore, non pas inutilement belle comme je l’avais vue tant de fois, mais d’une

  1. Près de Lyon, les sommets des Alpes se voient distinctement à l’horizon.