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mêmes les portent à s’aimer : séparés par leurs goûts, mais nécessaires l’un à l’autre, ils s’éloignent dans leurs habitudes, et sont ramenés par un besoin mutuel. Ceux qui naissent de leur union, formés également de tous deux, perpétueront pourtant ces différences. Cet effet essentiel de l’énergie donnée à l’animal, ce résultat suprême de son organisation sera le moment de la plénitude de sa vie, le dernier degré de ses affections, et en quelque sorte l’expression harmonique de ses facultés. Là est le pouvoir de l’homme physique ; là est la grandeur de l’homme moral ; là est l’âme tout entière ; et qui n’a pas pleinement aimé n’a pas possédé sa vie.

Des affections abstraites, des passions spéculatives, ont obtenu l’encens des individus et des peuples. Les affections heureuses ont été réprimées ou avilies : l’industrie sociale a opposé les hommes que l’impulsion primitive aurait conciliés[1].

L’amour doit gouverner la terre que l’ambition fatigue. L’amour est ce feu paisible et fécond, cette chaleur des cieux qui anime et renouvelle, qui fait naître et fleurir, qui donne les couleurs, la grâce, l’espérance et la vie. L’ambition est le feu stérile qui brûle sous les glaces, qui consume sans rien animer, qui creuse d’immenses cavernes, qui ébranle sourdement, éclate en ouvrant des abîmes, et laisse un siècle de désolation sur la contrée qu’étonna cette lumière d’une heure.

Lorsqu’une agitation nouvelle étend les rapports de l’homme qui essaye sa vie, il se livre avidement, il demande à toute la nature, il s’abandonne, il s’exalte lui-même ; il place son existence dans l’amour, et dans tout il ne voit que l’amour seul. Tout autre sentiment se perd dans ce sentiment profond, toute pensée y ramène, tout

  1. Notre industrie sociale a opposé les hommes que le véritable art social devait concilier.