Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/275

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les hommes parce qu’il sent comme eux, parce qu’il est près d’eux dans l’ordre du monde : sans ce rapport, quelle serait sa vie ?

L’homme aime tous les êtres animés. S’il cessait de souffrir en voyant souffrir, s’il cessait de sentir avec tout ce qui a des sensations analogues aux siennes, il ne s’intéresserait plus à ce qui ne serait pas lui, il cesserait peut-être de s’aimer lui-même : sans doute il n’est point d’affection bornée à l’individu, puisqu’il n’est point d’être essentiellement isolé.

Si l’homme sent dans tout ce qui est animé, les biens et les maux de ce qui l’environne sont aussi réels pour lui que ses affections personnelles ; il faut à son bonheur le bonheur de ce qu’il connaît ; il est lié à tout ce qui sent, il vit dans le monde organisé.

L’enchaînement de rapports dont il est le centre, et qui ne peuvent finir entièrement qu’aux bornes du monde, le constitue partie de cet univers, unité numérique dans le nombre de la nature. Le lien que forment ces liens personnels est l’ordre du monde, et la force qui perpétue son harmonie est la loi naturelle. Cet instinct nécessaire qui conduit l’être animé, passif lorsqu’il veut, actif lorsqu’il fait vouloir, est un assujettissement aux lois générales. Obéir à l’esprit de ces lois serait la science de l’être qui voudrait librement. Si l’homme est libre en délibérant, c’est la science de la vie humaine : ce qu’il veut lorsqu’il est assujetti lui indique comment il doit vouloir là où il est indépendant.

Un être isolé n’est jamais parfait : son existence est incomplète ; il n’est ni vraiment heureux ni vraiment bon. Le complément de chaque chose fut placé hors d’elle, mais il est réciproque. Il y a une sorte de fin pour les êtres naturels : ils la trouvent dans ce qui fait que deux corps rapprochés sont productifs, que deux sensations