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bèrent : les pins rendirent des murmures sauvages ; des sons romantiques descendaient de la montagne ; de grosses vagues roulaient sur la grève. Alors l’orfraie se mit à gémir sous les roches caverneuses ; et, quand elle cessa, les vagues étaient affaiblies, le silence fut austère.

Le rossignol plaça de loin en loin, dans la paix inquiète, cet accent solitaire, unique et répété, ce chant des nuits heureuses, sublime expression d’une mélodie primitive ; indicible élan d’amour et de douleur ; voluptueux comme le besoin qui me consume ; simple, mystérieux, immense comme le cœur qui aime.

Abandonné dans une sorte de repos funèbre au balancement mesuré de ces ondes pâles, muettes, à jamais mobiles, je me pénétrai de leur mouvement toujours lent et toujours le même, de cette paix durable, de ces sons isolés dans le long silence. La nature me sembla trop belle ; et les eaux, et la terre, et la nuit trop faciles, trop heureuses : la paisible harmonie des choses fut sévère à mon cœur agité. Je songeai au printemps du monde périssable et au printemps de ma vie. Je vis ces années qui passent, tristes et stériles, de l’éternité future dans l’éternité perdue. Je vis ce présent toujours vain et jamais possédé, détacher du vague avenir sa chaîne indéfinie ; approcher ma mort enfin visible, traîner dans la nuit les fantômes de mes jours, les atténuer, les dissiper ; atteindre la dernière ombre, dévorer aussi froidement ce jour après lequel il n’en sera plus, et fermer l’abîme muet.

Comme si tous les hommes n’avaient point passé, et tous passé en vain ! Comme si la vie était réelle, et existante essentiellement ! comme si la perception de l’univers était l’idée d’un être positif, et le moi de l’homme quelque autre chose que l’expression accidentelle d’un