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faites à la manière du Koukisberg[1], des tasses d’une porcelaine élégante, des corbeilles de merises, étaient placées sans ordre le long du gradin de pierre avec des assiettées de la crème épaisse des montagnes, et des jattes remplies de cette seconde crème qui peut seule servir pour le café, et dont le goût d’amande, très-légèrement parfumé, n’est guère connu, dit-on, que vers les Alpes. Des carafons contenaient une eau chargée de sucre préparée pour les fraises.

Le café n’était ni moulu ni grillé. Il faut laisser aux femmes ces sortes de soins, qu’elles aiment ordinairement à prendre elles-mêmes : elles sentent si bien qu’il faut préparer sa jouissance, et, du moins en partie, devoir à soi ce que l’on veut posséder ! Un plaisir qui s’offre sans être un peu cherché par le désir perd souvent de sa grâce, comme un bien trop attendu a laissé passer l’instant qui lui donnait du mérite.

Tout était préparé, tout paraissait prévu, mais, quand on voulut faire le café, il se trouva que la chose la plus facile était celle qui nous manquait : il n’y avait pas d’eau. On se mit à réunir des cordes qui semblaient n’avoir eu d’autre destination que de lier les branches apportées pour nos sièges, et de courber celles qui nous donnaient de l’ombre : et non sans avoir cassé quelques carafes, on en remplit enfin deux de l’eau glaciale du torrent, trois cents pieds au-dessous de nous.

La réunion fut intime, et le rire sincère. Le temps était beau ; le vent mugissait dans cette longue enceinte d’une sombre profondeur où le torrent, tout blanc d’écume, roulait entre ces rochers anguleux. Le k-hou-hou chantait dans les bois, et les bois plus élevés multipliaient

  1. Petite contrée montueuse, où l’on trouve des usages qui lui sont particuliers, et même quelque chose d’assez extraordinaire dans les mœurs.