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Nous résolûmes d’aller à pied : cette manière lui convint fort, mais heureusement elle ne fut point du goût de son domestique. Alors, pour n’avoir pas avec nous un mécontent qui eût suivi de mauvaise grâce nos arrangements très-simples, je trouvai quelques commissions à lui donner à Paris, et nous l’y laissâmes, ce qui ne lui plut pas davantage.

Je suis bien aise de m’arrêter à vous dire que les valets aiment la dépense. Ils en partagent les commodités et les avantages, ils n’en ont pas les inquiétudes : ils n’en jouissent pas non plus assez directement pour en être comme rassasiés, et pour n’y plus mettre de prix. Comment donc ne l’aimeraient-ils point ? ils ont trouvé le secret de la faire servir à leur vanité. Quand la voiture du maître est la plus belle de la ville, il est clair que le laquais est un être d’une certaine importance : s’il a l’humeur modeste, au moins ne peut-il se refuser au plaisir d’être le premier laquais du quartier. J’en sais un qui a été entendu disant : Un domestique peut tirer vanité de servir un maître riche, puisqu’un noble met son honneur à servir un grand roi, puisqu’il dit avec orgueil, le roi mon maître. Cet homme aura lu dans l’antichambre, et il se perdra.

J’ai pris tout simplement, dans les commissionnaires, un homme dont on me répondit. Il porta le peu de linge et d’effets nécessaires ; il nous fut commode en beaucoup de choses, et ne nous gêna pour aucune. Il parut très-content de se promener sans fatigue à la suite de gens qui le nourrissaient bien, et le traitaient encore mieux : et nous ne fûmes pas fâchés, dans une course de ce genre, d’avoir à notre disposition un homme avec qui on pouvait quitter, sans se compromettre, le ton des maîtres. C’était un compagnon de voyage fort serviable, fort discret ; mais qui enfin osait quelquefois marcher à côté de nous, et même nous parler de sa curiosité et de ses remarques,