Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/243

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

En affectant de se vouer au néant sur la terre, il y trouve une vénération immortelle. Il dit aux hommes : Je renonce à tout ce que prétendent vos désirs, je ne suis pas digne d’être l’un de vous ; et cette abnégation le place sur l’autel, entre le pouvoir suprême et toutes les espérances des hommes.

Les hommes veulent qu’on aille à la gloire avec fracas, ou avec un détour hypocrite ; en les massacrant, ou en les trompant ; en insultant à leur malheur ou à leur crédulité. Celui qui les écrase est auguste, celui qui les abrutit est vénérable. Tout cela m’est fort égal, quant à moi. Je me sens très-disposé à mettre l’opinion des sages avant celle du peuple. Posséder l’estime de mes amis, et la bienveillance publique, serait un besoin pour moi ; une grande réputation ne serait qu’un amusement ; je n’aurais point de passion pour elle, j’aurais tout au plus un caprice. Que peut faire au bonheur de mes jours une renommée qui, pendant que je vis, n’est presque rien encore, et qui s’agrandira quand je ne serai plus ? C’est l’orgueil des vivants qui prononce avec tant de respect les grands noms des morts. Je ne vois pas un avantage bien solide à servir dans mille ans aux passions des divers partis et aux caprices de l’opinion. Il me suffit que l’homme vrai ne puisse pas accuser ma mémoire ; le reste est vanité. Le hasard en décide trop souvent, et les moyens m’en déplaisent plus souvent encore : je ne voudrais être ni un Charles XII, ni un Pacôme. Chercher la gloire sans y atteindre est trop humiliant ; la mériter et la perdre est triste peut-être, et l’obtenir n’est pas la première fin de l’homme.

Dites-moi si les plus grands noms sont ceux des hommes justes. Quand nous pouvons faire des choses bonnes, faisons-les pour elles-mêmes, et si notre sort nous éloigne des grandes choses, n’abandonnons pas du moins ce que la gloire ne récompensera point : laissons les incertitudes,