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nous nous sommes crus, je pense, trop éloignés l’un de l’autre en ceci.

Si vous voulez absolument que je revienne à mon premier objet par une transition selon les règles, vous me mettrez dans un grand embarras. Mais quoique mes lettres ressemblent beaucoup trop à des traités, et que je vous écrive en solitaire qui parle avec son ami comme il rêve en lui-même, je vous avertis que j’y veux conserver toute la liberté épistolaire quand cela m’arrange.

Ces hommes dont les jouissances inconsidérées, ou mal choisies, ont perverti les affections et abruti les sens, ne voient plus, je crois, dans l’amour physique que les grossièretés de leurs habitudes : ils ont perdu le délicieux pressentiment du plaisir. Une nudité les choque, parce qu’il n’y a plus chez eux d’intervalle entre la sensation qu’ils en reçoivent et l’appétit brut auquel se réduit toute leur volupté. Ce besoin, réveillé dans eux, leur plairait encore en rappelant du moins ces plaisirs informes que cherchent des sens plus lascifs qu’embrasés ; mais comme ils n’ont pas conservé la véritable pudeur, ils ont laissé les dégoûts se mêler dans les plaisirs. Comme ils n’ont pas su distinguer ce qui convenait d’avec ce qui ne convenait pas, même dans l’abandon des sens, ils ont cherché de ces femmes qui corrompent les mœurs, en perdant les manières, et qui sont méprisables, non pas précisément parce qu’elles donnent le plaisir, mais parce qu’elles le dénaturent, parce qu’elles le détruisent en mettant la licence à la place de la liberté. Comme en se permettant ce qui répugne à des sens délicats, et en confondant des choses d’un ordre très-différent, ils ont laissé s’échapper les séduisantes illusions ; comme leurs imprudences ont été punies par des suites funestes et rebutantes, ils ont perdu la candeur de la volupté avec les incertitudes du désir. Leur imagination n’est plus allumée que par l’habi-