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méchants, puisqu’il n’y a qu’eux qui aient besoin de chimères pour ne pas voler, égorger, trahir. Certains chrétiens dont l’humeur dévote et la croyance burlesque ont dérangé le cœur et l’esprit se trouvent toujours entre le désir du crime et la crainte du diable. Selon la méthode vulgaire de juger des autres par soi-même, ils sont alarmés dès qu’ils voient un homme qui ne se signe point : il n’est pas des nôtres, il est contre nous ; il ne craint pas ce que nous craignons, donc il ne craint rien, donc il est capable de tout ; il n’a pas les mains jointes, c’est qu’il les cache ; il y a sûrement un stylet dans l’une, et du poison dans l’autre.

Je n’en veux point à ces bonnes gens : comment croiraient-ils que l’ordre suffise ? le désordre est dans leurs idées. D’autres parmi eux me diront : Voyez tout ce que j’ai souffert, d’où aurais-je tiré ma force, si je ne l’avais pas reçue d’en haut ? — Mon ami, d’autres ont souffert davantage, et n’ont rien reçu d’en haut : il y a encore cette différence qu’ils n’en font pas tant de bruit, et ne se croient pas bien grands pour cela. On souffre, comme on marche. Quel est l’homme qui peut faire vingt mille lieues ? Celui qui fait une lieue par jour et qui vit soixante ans. Chaque matin ramène des forces nouvelles, et l’espérance éteinte laisse encore un espoir vague.

Les lois sont évidemment insuffisantes. Eh bien ! je veux vous montrer des êtres plus forts que vous, et qui sont presque toujours indomptés ; qui vivent au milieu de vous non-seulement sans frein religieux, mais même sans lois ; dont les besoins sont souvent très-mal satisfaits ; qui rencontrent ce qu’on leur refuse, et ne font pas un mouvement pour l’arracher : et parmi eux, trente-neuf au moins sur quarante mourront sans avoir nui, tandis que vous prônez l’effet de la grâce, si, parmi vos chrétiens, il y en a dans ce cas trois sur quatre. — Où