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lui-même, ou le délassement qui peut distraire de ces dégoûts qu’on préfère à la vie tranquille : il n’aura pas, quand il la voudra, la coupe pleine de café ou de vin qui doit écarter pour un moment le mortel ennui. Il n’y aura point d’ordre et de suite dans ce qu’il sera forcé de faire ; il n’y aura pas de sécurité pour les siens. Parce que sa pensée aura embrassé le monde dans ses hautes conceptions, il arrivera que son génie, éteint par la langueur, n’aura plus même ces conceptions : parce que sa pensée aura cherché trop de vérités dans la nature des choses, il ne sera plus donné à sa pensée elle-même de se maintenir selon sa propre nature.

On ne parle que de réprimer ses passions, et d’avoir la force de faire ce qu’il faut ; mais au milieu de tant d’impénétrabilité, montrez donc ce qu’il faut. Pour moi, je ne le sais pas, et j’ose soupçonner que plusieurs autres l’ignorent. Tous les sectaires ont prétendu le dire et le montrer avec évidence ; leurs preuves surnaturelles nous ont laissés dans un doute plus grand. Peut-être une connaissance certaine et un but connu ne sont-ils ni selon notre nature ni selon nos besoins. Cependant il faut vouloir. C’est une triste nécessité, c’est une sollicitude intolérable, d’être toujours contraint d’avoir une volonté, quand on ne sait sur quoi la régler.

Souvent je me repose dans cette idée, que le cours accidentel des choses et les effets directs de nos intentions ne sauraient être qu’une apparence, et que toute action humaine est nécessaire et déterminée par la marche irrésistible de l’ensemble des choses. Il me paraît que c’est une vérité dont j’ai le sentiment ; mais quand je perds de vue les considérations générales, je m’inquiète et je projette comme un autre. Quelquefois, au contraire, je m’efforce d’approfondir tout ceci, pour savoir si ma volonté peut avoir une base, et si mes vues peuvent se rapporter