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est dans une grande prospérité, quand son maître pèse deux livres de plus que l’année précédente. Il est certain que l’âme survit au corps, excepté s’il est écrasé par la chute subite d’un roc : alors elle n’a pas le temps de s’enfuir[1] et il faut qu’elle meure là. Tout le monde a su que les comètes sont dans l’usage d’engendrer des monstres, et qu’il y a d’excellentes recettes pour se préserver de cette contagion. Tout le monde convient qu’un individu de ce petit globe où rampent nos génies impérissables a trouvé les lois du mouvement et de la position respective de cent milliards de mondes. Nous sommes admirablement certains, et c’est pure malice si tous les temps et tous les peuples s’accusent mutuellement d’erreur.

Pourquoi chercher à rire des anciens qui regardaient les nombres comme le principe universel ? L’étendue, les forces, la durée, toutes les propriétés des choses naturelles ne suivent-elles pas les lois des nombres ? Ce qui est à la fois réel et mystérieux n’est-il pas ce qui nous avance le plus dans la profondeur des secrets de la nature ? N’est-elle pas elle-même une perpétuelle expression d’évidence et de mystère, visible et impénétrable, calculable et infinie, prouvée et inconcevable, contenant tous les principes de l’être et toute la vanité des songes ? Elle se découvre à nous, et nous ne la voyons pas ; nous avons analysé ses lois, et nous ne saurions imaginer ses procédés ; elle nous a laissé prouver que nous remuerions un globe, mais le mouvement d’un insecte est l’abîme où elle nous abandonne. Elle nous donne une heure d’existence au milieu du néant ; elle nous montre et nous supprime ; elle nous produit pour que nous ayons été. Elle

  1. On peut voir dans la cinquante-septième épître de Sénèque cette opinion, commune chez les stoïciens, et les raisons non moins remarquables par lesquelles Sénèque la réfute.