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hommes, indépendamment du prestige de leurs passions ; qu’il existe une chaîne occulte de rapports, soit dans les nombres, soit dans les affections, qui puisse faire juger, ou sentir d’avance, ces choses futures que nous croyons accidentelles. Je ne dis pas, Cela est ; mais n’y a-t-il point quelque témérité à dire, Cela n’est pas[1] ?

Serait-il même impossible que les pressentiments appartinssent à un mode particulier d’organisation, et qu’ils fussent refusés à d’autres hommes ? Nous voyons, par exemple, que la plupart ne sauraient concevoir des rapports entre l’odeur qu’exhale une plante et les moyens du bonheur du monde. Doivent-ils pour cela regarder comme une erreur de l’imagination le sentiment de ces rapports ? Ces deux perceptions si étrangères l’une à l’autre pour plusieurs esprits, le sont-elles pour quiconque peut suivre la chaîne qui les unit ? Celui qui abattait les hautes têtes des pavots savait bien qu’il serait entendu : il savait aussi que ses esclaves ne le comprendraient point, qu’ils n’auraient point son secret.

Vous ne prendrez pas tout ceci plus sérieusement que je ne le dis. Mais je suis las des choses certaines, et je cherche partout des voies d’espérance.

Si vous venez bientôt, cela pourra me donner un peu de courage : celui d’attendre toujours des lendemains est du moins quelque chose pour qui n’en a pas d’autre.

LETTRE XLVII.

Lyon, 28 août, VI.

Vous renvoyez en deux mots tous mes possibles dans la région des songes. Pressentiments, propriétés secrètes

  1. « C’est une sotte présomption d’aller dédaignant et condamnant pour faux ce qui ne nous semble pas vraisemblable : qui est un vice ordinaire de ceux qui pensent avoir quelque suffisance, outre la commune. J’en faisais ainsi autrefois... et à présent je trouve que j’étais pour le moins autant à plaindre moi-même. » Montaigne.