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peut être que fatale à l’espèce. C’est ainsi que va le monde, est le mot d’un bourgeois quand on le dit des misères publiques ; ce n’est celui du sage que dans les cas particuliers.

Dira-t-on ne faut pas s’arrêter au beau imaginaire, au bonheur absolu, mais aux détails d’une utilité directe dans l’ordre actuel ; et que, la perfection n’étant pas accessible à l’homme, et surtout aux hommes, il est à la fois inutile et romanesque de les en entretenir ? Mais la nature elle-même prépare toujours le plus pour obtenir le moins. De mille graines, une seule germera. Nous voudrions apercevoir quel serait le mieux possible, non pas seulement dans l’espoir d’y atteindre, mais afin de nous en approcher plus que si nous envisagions seulement pour terme de nos efforts ce qu’ils pourront en effet produire. Je cherche des données qui m’indiquent les besoins de l’homme ; et je les cherche dans moi, pour me tromper moins. Je trouve dans mes sensations un exemple limité, mais sûr ; et en observant le seul homme que je puisse bien sentir, je m’attache à découvrir quel pourrait être l’homme en général.

Vous seuls savez remplir votre vie, hommes simples et justes, pleins de confiance et d’affections expansives, de sentiment et de calme, qui sentez votre existence avec plénitude, et qui voulez voir l’œuvre de vos jours ! Vous placez votre joie dans l’ordre et la paix domestique, sur le front pur d’un ami, sur la lèvre heureuse d’une femme. Ne venez point vous soumettre dans nos villes à la médiocrité misérable, à l’ennui superbe. N’oubliez pas les choses naturelles : ne livrez pas votre cœur à la vaine tourmente des passions équivoques ; leur objet, toujours indirect, fatigue et suspend la vie jusqu’à l’âge infirme qui déplore trop tard le néant où se perdit la faculté de bien faire.