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plus d’amertumes que l’homme pressé par le malheur. On m’a dit : Vous êtes tranquille maintenant.

Le paralytique est tranquille dans son lit de douleur. Consumer les jours de l’âge fort, comme le vieillard passe les jours du repos ! Toujours attendre, et ne rien espérer ; toujours de l’inquiétude sans désir, et de l’agitation sans objet ; des heures constamment nulles ; des conversations où l’on parle pour placer des mots, où l’on évite de dire des choses ; des repas où on mange par excès d’ennui ; de froides parties de campagne dont on n’a jamais désiré que la fin ; des amis sans intimité ; des plaisirs pour l’apparence ; du rire pour contenter ceux qui bâillent comme vous ; et pas un sentiment de joie dans deux années ! Avoir sans cesse le corps inactif, la tête agitée, l’âme malheureuse, et n’échapper que fort mal dans le sommeil même à ce sentiment d’amertumes, de contrainte et d’ennuis inquiets, c’est la lente agonie du cœur : ce n’est pas ainsi que l’homme devait vivre.


3 août.

S’il vit ainsi, me direz-vous, c’est donc ainsi qu’il devait vivre : ce qui existe est selon l’ordre ; où seraient les causes, si elles n’étaient pas dans la nature ? Il faudra que j’en convienne avec vous : mais cet ordre de choses n’est que momentané ; il n’est point selon l’ordre essentiel, à moins que tout ne soit déterminé irrésistiblement. Si tout est nécessaire, il l’est que j’agisse comme s’il n’y avait point de nécessité : ce que nous disons est vain ; il n’y a point de sentiment préférable au sentiment contraire, point d’erreur, point d’utilité. Mais s’il en est autrement, avouons nos écarts ; examinons où nous en sommes ; cherchons comment on pourrait réparer tant de pertes. La résignation est souvent bonne aux individus ; elle ne