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ment ridicule, altercations perpétuelles : et la plus faible altercation devient en deux minutes une dispute pleine d’aigreur. Des reproches amers, des soupçons hideux, des manières brutes semblent, à la moindre occasion, brouiller ces gens-là pour jamais. Il y a cependant chez eux une chose heureuse : c’est que, comme l’humeur est leur seul mobile, si quelque bêtise vient les divertir, ou si quelque tracasserie contre une autre personne vient les réunir, voilà mes gens qui rient ensemble et se parlent à l’oreille, après s’être traités avec le dernier mépris. Une demi-heure plus tard, voici une fureur nouvelle ; un quart d’heure après on chante ensemble. Il faut rendre à de telles gens cette justice, qu’il ne résulte ordinairement rien de leur brutalité, si ce n’est un dégoût insurmontable dans ceux que des circonstances particulières engageaient à vivre avec eux.

Vous êtes hommes, vous vous dites chrétiens ; et cependant, malgré les lois que vous ne sauriez désavouer, et malgré celles que vous adorez, vous fomentez, vous perpétuez une extrême inégalité entre les lumières et les sentiments des hommes. Cette inégalité est dans la nature ; mais vous l’avez augmentée contre toute mesure, quand vous deviez, au contraire, travailler à la restreindre. Il faut bien que les prodiges de votre industrie soient une surabondance funeste, puisque vous n’avez ni le temps ni les facultés de faire tant de choses indispensables. La masse des hommes est brute, inepte et livrée à elle-même ; tous vos maux viennent de là : ou ne les faites pas exister, ou donnez-leur une existence d’homme.

Que conclure, à la fin, de tous mes longs propos ? C’est que l’homme étant peu de chose dans la nature, et étant tout pour lui-même, il devrait bien s’occuper un peu moins des lois du monde, et un peu plus des siennes ; laisser peut-être celles des sciences qui sont transcen- -