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Si pour être juste on avait besoin de l’espoir d’une vie future, cette possibilité vague serait encore suffisante. Elle est superflue pour celui qui raisonne sa vie ; les considérations du temps présent peuvent lui donner moins de satisfaction, mais elles le persuadent de même : il a le besoin présent d’être juste. Les autres hommes n’écoutent que les intérêts du moment. Ils pensent au paradis quand il s’agit des rites religieux ; mais dans les choses morales, la crainte des suites, celle de l’opinion, celle des lois, les penchants de l’âme sont leur seule règle. Les devoirs imaginaires sont fidèlement observés par quelques-uns ; les véritables sont sacrifiés par presque tous quand il n’y a pas de danger temporel.

Donnez aux hommes la justesse de l’esprit et la bonté du cœur, vous aurez une telle majorité d’hommes de bien, que le reste sera entraîné par ses intérêts même les plus directs et les plus grossiers. Au contraire, vous rendez les esprits faux et les âmes petites. Depuis trente siècles, les résultats sont dignes de la sagesse des moyens. Tous les genres de contrainte ont des effets funestes et des résultats éphémères : il faudra enfin persuader.

J’ai de la peine à quitter un sujet aussi important qu’inépuisable.

Je suis si loin d’avoir de la partialité contre le christianisme, que je déplore, en un sens, ce que la plupart de ses zélateurs ne pensent guère à déplorer eux-mêmes. Je me plaindrais volontiers comme eux de la perte du christianisme, avec cette différence néanmoins qu’ils le regrettent tel qu’il fut exécuté ; tel même qu’il existait il y a un siècle, et que je ne trouve pas que ce christianisme-là soit bien regrettable.

Les conquérants, les esclaves, les poètes, les prêtres païens et les nourrices parvinrent à défigurer les traditions de la sagesse antique à force de mêler les races, de