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tout ce qui n’est pas surnaturel est vil, que tout ce qui n’exalte pas l’homme jusqu’au séjour des béatitudes le rabaisse nécessairement au niveau de la brute, que des vertus terrestres ne sont qu’un déguisement misérable, et qu’une âme bornée à la vie présente n’a que des désirs infâmes et des pensées immondes. Ainsi l’homme juste et bon, qui, après quarante ans de patience dans les douleurs, d’équité parmi les fourbes, et d’efforts généreux que le ciel doit couronner, viendrait à reconnaître la fausseté des dogmes qui faisaient sa consolation, et qui soutenaient sa vie laborieuse dans l’attente d’un long repos ; ce sage, dont l’âme est nourrie du calme de la vertu, et pour qui bien faire c’est vivre, changeant de besoins présents parce qu’il a changé de système sur l’avenir, et ne voulant plus du bonheur actuel parce qu’il pourrait bien ne pas durer toujours, va tramer une perfidie contre l’ancien ami qui n’a jamais douté de lui ? il va s’occuper des moyens vils mais secrets d’obtenir de l’or et du pouvoir ? et pourvu qu’il échappe à la justice des hommes, il va croire que son intérêt se trouve désormais à tromper les bons, à opprimer les malheureux, à ne garder de l’honnête homme qu’un dehors prudent, et à mettre dans son cœur tous les vices qu’il avait abhorrés jusqu’alors ? Sérieusement, je n’aimerais pas faire une pareille question à vos sectaires, à ces vertueux exclusifs : s’ils me répondaient par la négative, je leur dirais qu’ils sont très-inconséquents. Or il ne faut jamais perdre de vue que des hommes inspirés n’ont pas d’excuse en cela ; et s’ils osaient avancer l’affirmative, ils feraient pitié.

Si l’idée de l’immortalité a tous les caractères d’un songe admirable, celle de l’anéantissement n’est pas susceptible d’une démonstration rigoureuse. L’homme de bien désire nécessairement de ne pas périr tout entier : n’est-ce pas assez pour l’affermir ?