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Grève. » Il y a aussi des hommes qui ne peuvent être bien qu’au milieu des hommes contents, qui se sentent dans tout ce qui jouit et souffre, et qui ne sauraient être satisfaits d’eux-mêmes que s’ils contribuent à l’ordre des choses et à la félicité des hommes. Ceux-là tâchent de bien faire sans croire beaucoup à l’étang de soufre.

Au moins, objectera-t-on, la foule n’est pas ainsi organisée. Dans le vulgaire des hommes, chaque individu ne cherche que son intérêt personnel, et sera méchant s’il n’est utilement trompé. — Ceci peut être vrai jusqu’à un certain point. Si les hommes ne devaient et ne pouvaient jamais être détrompés, il n’y aurait plus qu’à décider si l’intérêt public donne le droit de mentir, et si c’est un crime ou du moins un mal de dire la vérité contraire. Mais si cette erreur utile, ou donnée pour telle, ne peut avoir qu’un temps, et s’il est inévitable qu’un jour on cesse de croire sur parole, ne faut-il pas avouer que tout votre édifice moral restera sans appui, quand une fois ce brillant échafaudage se sera écroulé ? Pour prendre des moyens plus faciles et plus courts d’assurer le présent, vous exposez l’avenir à une subversion peut-être irremédiable. Si, au contraire, vous eussiez su trouver dans le cœur humain les bases naturelles de sa moralité ; si vous eussiez su y mettre ce qui pouvait manquer au mode social, aux institutions de la cité, votre ouvrage, plus difficile, il est vrai, et plus savant, eût été durable comme le monde.

Si donc il arrivait que, mal persuadé de ce que n’ont pas cru eux-mêmes plusieurs des plus vénérés d’entre vous, on vînt à dire : « Les nations commencent à vouloir des certitudes et à distinguer les choses positives ; la morale se modifie, et la foi n’est plus : il faut se hâter de prouver aux hommes qu’indépendamment d’une vie future la justice est nécessaire à leurs cœurs ; que, pour