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les précautions, entre les délices que l’on attend et l’amertume qu’on éprouve. L’intimité elle-même est entravée par les ennuis, ou affaiblie par le partage, ou arrêtée par les circonstances. L’homme vieillit, et son cœur rebuté vieillit avant lui. Si tout ce qu’il peut aimer est dans l’homme, tout ce qu’il évite est aussi dans lui. Là où sont tant de convenances sociales, là, et par une nécessité invincible, se trouvent aussi toutes les discordances. Ainsi, celui qui craint plus qu’il n’espère reste un peu éloigné de l’homme. Les choses mortes sont moins puissantes ; mais elles sont plus à nous, elles sont ce que nous les faisons. Elles contiennent moins ce que nous cherchons ; mais nous sommes plus assurés d’y trouver, à notre choix, les choses qu’elles contiennent. Ce sont les biens de la médiocrité, bornés, mais certains. La passion cherche l’homme, quelquefois la raison se trouve réduite à le quitter pour des choses moins bonnes et moins funestes. Ainsi s’est formé un lien puissant de l’homme avec cet ami de l’homme, pris hors de son espèce, et qui lui convient tant, parce qu’il est moins que nous, et qu’il est plus que les choses insensibles. S’il fallait que l’homme prît au hasard un ami, il lui vaudrait mieux le prendre dans l’espèce des chiens que dans celle des hommes. Le dernier de ses semblables lui donnerait moins de consolations et moins de paix que le dernier de ces animaux.

Et quand une famille est dans la solitude, non pas dans celle du désert, mais dans celle de l’isolement ; quand ces êtres faibles, souffrants, qui ont tant de moyens d’être malheureux et si peu d’être satisfaits, qui n’ont que des instants pour jouir et qu’un jour pour vivre ; quand le père et sa femme, quand la mère et ses filles n’ont point de condescendance, n’ont point d’union, qu’ils ne veulent pas aimer les mêmes choses, qu’ils ne savent pas se soumettre aux mêmes misères, et soutenir ensemble, à