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d’une manie qui gâtera son cœur, ou de quelque projet funeste auquel un fourbe saura l’employer.

Mais l’homme de bien est invariable : il n’a les passions d’aucune coterie, ni les habitudes d’aucun état ; on ne l’emploie pas ; il ne peut avoir ni animosité, ni ostentation, ni manie ; il n’est étonné ni du bien, parce qu’il l’eût fait également, ni du mal, parce qu’il est dans la nature ; il s’indigne contre le crime, et ne hait pas le coupable ; il méprise la bassesse de l’âme, mais il ne s’irrite pas contre un ver à cause que le malheureux n’a point d’ailes.

Il n’est pas l’ennemi du superstitieux ; il n’a pas de superstitions contraires. Il cherche l’origine souvent très-sage[1] de tant d’opinions devenues insensées, et il rit de ce qu’on a ainsi pris le change. Il a des vertus, non par fanatisme, mais parce qu’il cherche l’ordre ; il fait le bien pour diminuer l’inutilité de sa vie ; il préfère les jouissances des autres aux siennes, car les autres peuvent jouir, et lui ne le peut guère ; il aime seulement à se réserver ce qui procure les moyens d’être bon à quelque chose, et aussi de vivre sans trouble : il faut du calme à qui n’attend pas de plaisirs. Il n’est point défiant ; mais comme il n’est pas séduit, il pense quelquefois à contenir la facilité de son cœur : il sait s’amuser à être un peu victime, mais il n’entend pas qu’on le prenne pour dupe. Il peut avoir à souffrir de quelques fripons ; il n’est pas leur jouet. Il laissera parfois à de certains hommes à qui il est utile le petit plaisir de se donner en cachette les airs de le protéger. Il n’est pas content de ce qu’il fait, parce qu’il sent qu’on pourrait faire beaucoup plus ; il l’est seulement un peu de ses intentions, sans être plus fier de

  1. Les idées obscures ou profondes s’altèrent avec le temps, et on s’habitue à les considérer sous un autre aspect : lorsqu’elles commencent à devenir fausses, le peuple commence à les trouver divines ; lorsqu’elles sont tout à fait absurdes, il veut mourir pour elles.