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Cette pièce (Mahomet) est une des plus belles de Voltaire ; mais peut-être, chez un autre peuple, n’eût-il point fait du prophète conquérant l’amant de Palmyre. Il est vrai que l’amour de Mahomet est mâle, absolu, et même un peu farouche ; il n’aime point comme Titus, mais peut-être serait-il mieux qu’il n’aimât point. On connaît la passion de Mahomet pour les femmes ; mais il est probable que dans ce cœur ambitieux et profond, après tant d’années de dissimulation, de retraite, de périls et de triomphes, cette passion n’était pas de l’amour.

Cet amour pour Palmyre était peu convenable à ses hautes destinées et à son génie : l’amour n’est point à sa place dans un cœur sévère, que ses projets remplissent, que le besoin de l’autorité vieillit, qui ne connaît de plaisirs que par oubli, et pour qui le bonheur même ne serait qu’une distraction.

Que signifie : L’amour seul me console ? Qui le forçait à chercher le trône de l’Orient, à quitter ses femmes et son obscure indépendance pour porter l’encensoir et le sceptre et les armes ? L’amour seul me console ! Régler le sort des peuples, changer le culte et les lois d’une partie du globe, sur les débris du monde élever l’Arabie, est-ce donc une vie si triste, une inaction si léthargique ? C’est un soin difficile, sans doute, mais c’est précisément le cas de ne pas aimer. Ces nécessités du cœur commencent dans le vide de l’âme : qui a de grandes choses à faire a bien moins besoin d’amour.

Si du moins cet homme, qui dès longtemps n’a plus d’égaux, et qui doit régir en dieu l’univers prévenu, si ce favori du dieu des batailles aimait une femme qui pût l’aider à tromper l’univers, ou une femme née pour régner, une Zénobie ; si du moins il était aimé ; mais ce Mahomet, qui asservit la nature à son austérité, le voilà ivre d’amour pour une enfant qui ne pense pas à lui.