Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/93

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 83 )

tante diversion n’occupe leur durée remplie et fécondée[1].

L’énergie ne sauroit être soutenue, si elle ne s’exerce sur des objets variés ou sur un objet inépuisable. Les recherches du goût et les inventions du luxe ont à la vérité multiplié et varié presqu’à l’infini les moyens du plaisir ;

  1. De plus il y a dans l’inaction une sorte de nullité dont le sentiment est pénible ; l’emploi du tems nous le rend agréable, en produisant de sa durée un résultat moins passager qu’elle, et que nous croyons utile : sans ce produit qui la perpétue en quelque sorte, cette durée ne seroit qu’un obstacle qui différeroit ce que nous desirons, et dont notre impatience s’irriteroit ; car nous attendons toujours quelque chose, nous voulons que les heures se hâtent ; si l’intervalle est rempli, nous n’y songeons pas ; s’il est vide, sa durée nous fatigue et nous accable. Nous mettons toujours à ce qui nous occupe une sorte d’importance ; ne fût-ce qu’un délassement, nous y trouvons du moins cette utilité : ensorte que de cela seul que nous sommes dans l’activité, nous reconnoissons à nos jours une valeur qui nous mène à la conscience de la nôtre propre. Content de soi, on l’est facilement des choses ; mécontent de soi, on l’est bientôt de l’univers.

    L’homme qui pense a besoin de s’estimer soi-même ; cette estime est en lui la source de tout bien. Toutes ses vertus, toute sa félicité naissent de son énergie.