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parties les plus indifférentes ou les moins apperçues, parce qu’elles sont toutes l’occasion de notre activité, l’aliment de notre pensée, la matière de notre vie.

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…Il est des momens de paix et d’énergie où l’ame confiante, libre, indifférente, assez indépendante pour tout attendre sans être alarmée de rien, assez impassible pour s’abandonner, se nourrit d’elle-même ; étend sur toutes choses réelles ou possibles, le sentiment de sa force et de son bien-être ; reste comme immobile dans le tems qui se succède, immuable dans le monde agité, et commence un bonheur dont sa délicieuse erreur éternise la durée.

Mais nulle forme, nulle situation n’est permanente dans la nature, toutes passent et s’altèrent. Comment resterions-nous invariables au sein de l’agitation, calmes au milieu des orages, et toujours semblables dans un monde toujours changé ? Heureux le mortel qui du moins repose souvent dans cet état de félicité dont on ne sauroit rendre raison, de calme indicible que nul objet extérieur ne peut donner, où l’on ne jouit de nulle chose en particulier ; où l’on ne sauroit exprimer ce que l’on sent, ni dire ce qui rend heureux ; où il n’est rien