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se trouve-t-elle sous ses pas, son parfum a dissipé tous ces fantômes, et ramené sur l’avenir le voile des illusions plus heureuses. Une idée triste se présente-t-elle la première à son réveil, cette journée sera celle des ennuis et des douleurs ; s’est-il éveillé dans la paix, il va tolérer la vie. Qu’il consulte, le matin, les brouillards et les vents ; qu’il écoute quels oiseaux chantent l’aurore, les malheurs lui seront moins pénibles dans un beau jour, que le poids seul du tems sous un ciel voilé de brumes. Il est des sensitives qui se flétrissent dans les tems d’orage, et se réveillent avec la sérénité des cieux.

Mais toujours dépendant, et des saisons, et des hommes, et des choses, satisfait ou triste, actif ou abattu selon la circulation de ses fluides et le jeu de ses organes, comment sera-t-il heureux quand tout peut l’affliger ? comment sera-t-il égal ainsi changé sans cesse ? Embarrassé d’un regard, troublé par un mot ; toujours partageant les affections de ceux qui l’environnent ; toujours inquiété, ébranlé, altéré par les objets mêmes étrangers à lui ; où trouvera-t-il la paix du sage et son impassibilité, lui que tout affecte, lui que tout agite ? Cette sensibilité exquise est-elle un avantage,