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lique automne ! tu es douteuse et fugitive comme la vie de l’homme. Si belle encore, et pourtant si voisine des frimats nébuleux, tu apprends à son cœur détrompé, que du moins le présent peut s’écouler doucement dans l’oubli des maux que la crainte anticipe.

Le renouvellement de l’année agite nos cœurs de désirs immodérés et d’affections indicibles. L’homme froid peut avoir besoin de cette impulsion nouvelle pour rendre quelque sentiment à sa vie stérile, mais les cœurs profondément sensibles souffrent trop de cette agitation immodérée ; cette nature si puissante les fatigue et les dévore ; ils reposent plus heureusement sous les ombres automnales.

Et toi aussi, infortuné, que le sort a poursuivi, que les hommes ont opprimé ; toi aussi tu te refuses à ces saisons qui n’inspirent qu’espérance, joie et bonheur, car tous ces prestiges sont loin de ton cœur ; toi aussi, triste victime des misères humaines, tu préfères l’arbre qui jaunit dans les vergers, les champs dont les travaux ont fini, et la feuille abandonnée sur le sol des forêts : tu marques à tes douleurs un cours annuel, et voyant cesser la végétation, comme si la nature s’arrêtoit toute entière tu espères à toutes choses un terme désiré.