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n’ai point perdu les goûts primitifs ; mais leurs impressions ont changé lorsque mon cœur a perdu les désirs, altérations passagères de l’être qui sent profondément et ne végétera qu’un jour.

Le printemps seul se revêt d’un charme indicible. Nulle saison ne peut lui paroître comparable aux yeux qui ne sont pas désenchantés ; aux plaisirs qu’il donne, l’attente de l’été ajoute encore ceux qu’elle promet ; mais je sens que je lui préfère déjà la mélancolique automne, reste épuisé de la splendeur des beaux jours, dernier effort de vie mêlé d’une sorte de langueur qui déjà repose et bientôt va s’éteindre sous les frimats ténébreux.

Insensés ! nos pertes sont notre ouvrage : notre main imprudente comprime et réfroidit la nature. Les joies de la vie dévoient durer autant qu’elle ; le sentiment du plaisir étoit de tous les âges. Il promettoit au vieillard même sa délicieuse ivresse pour les précieux momens du mois des violettes, et les jours enchanteurs de la saison des roses. Mais les fleurs du printemps, séduisante image des joies heureuses, sont pour les hommes fortunés qui connoissent la passion douce des jeunes cœurs, le plaisir et ses illusions charmantes. La teinte