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être[1], ajoute aux autres êtres, et approche par degrés de leur véritable estimation. Ainsi, l’œil voit d’abord les objets placés près de lui, mille fois plus grands[2] que les mêmes objets reculés à une grande distance ; il ne les juge semblables que quand un nombre d’épreuves l’a fait parvenir à voir moins partiellement[3].

  1. C’est ainsi que l’ignorant est égoïste passionné, etc., etc. S’il aime d’autres que lui, il les aime comme liés à lui ; il aime son frère, sa femme. L’homme dont les conceptions sont universelles, est cosmopolite, indifférent aux événemens. L’étendue des connoissances mène à l’impartialité de jugement, au silence des passions, à une sorte d’indifférence pour ce que les hommes vulgaires craignent ou désirent si immodérément.
  2. Dans tout ce qu’il considère, l’homme se met toujours au centre et juge ainsi toujours mal. Tout ce qui est de sa ville ou de son siècle est plus grand, plus singulier, plus beau, plus odieux que ce qui appartient à d’autres tems ou à d’autres lieux. C’est toujours l’arbre de trente pieds qui, près de sa maison, lui cache la montagne élevée de deux mille toises à l’horizon. Il est bon de sentir ainsi quand on veut n’être que soi ; mais dès que l’on prétend étudier les choses sous d’autres rapports, il faut dépouiller son être, et juger comme si l’on n’étoit d’aucun lieu, d’aucun âge, d’aucune espèce.
  3. C’est le propre d’une extrême ignorance de