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l’univers social. On admire[1] ; mais le penseur plus sévère voit avec effroi le moment inévitable où tout sera artifice et calcul, où l’on sera blasé sur tout, indifférent à tout, et dévoré d’une agitation qui n’aura plus même d’illusions pour objet.

Et si ces foibles traits échappent à la ruine des tems, les générations éloignées, instruites par les faits dont nous hâtons pour elles la leçon désastreuse, apprendront qu’il est des vérités profondes que l’on a pu pressentir même

    l’Inde, parce qu’on y est moins actif ; mais l’inquiétude européenne, excitée par leur fermentation, produit ces hommes remuans et agités dont le reste du globe voit la folie avec un étonnement toujours nouveau.

  1. Voudrois-je donc que l’on rétrogradât vers ces ténèbres de superstition et de servitude, dont la terre est encore si généralement obscurcie ! Non : mais je soutiens que ces tems ne sont venus que de l’opposition entre les lumières factices de quelques-uns et l’ignorance publique. Ils ont suivi, bien plus que précédé, des tems de recherche et de mollesse. En Amérique même, c’est dans le puissant empire de Montezume que l’on trouva le cimetière des sacrifices. Tous nos maux viennent de nos passions extensibles, aucuns des limites naturelles de nos perceptions.