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Asile long-tems désiré, île heureuse, que le bon J.-J. a tant regretté[1], c’est dans ton sein que je voudrois vivre ; c’est au milieu des eaux qui t’embellissent, que je voudrois circonscrire et tous mes désirs et toute mon existence. C’est-là qu’avec des hommes faits pour une vie moins factice, je voudrois que le reste du globe me devint étranger comme tous ces mondes que nous oublions dans l’espace des cieux.

Isle heureuse, que te manque-t-il pour le bonheur de tes habitans ? Tes prairies sont riantes et tes vergers féconds. La fraîcheur des bois ombrage ton sommet ; les plus belles eaux t’environnent, tu renfermes tout ce qui est convenable à l’homme, et le sublime se déploie à ta vue. Quoi de plus majestueux que la chaîne d’Alpes qui borne ton horizon ? quoi de plus pittoresque que les monts du Jura qui t’abritent au Nord[2], et les rocs

  1. Isle de la Motte ou de St.-Pierre, dans le lac de Bienne. Sur le séjour de J.-J. dans cette île et sur ses regrets, voyez la cinquième prom. des Rêveries du promeneur solitaire.
  2. Le Jura ne garantit pas l’île des vents septentrionaux ; mais elle en reçoit un avantage : sans eux les marais de la Thièle, placés au S. O., pourraient