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promettant ce qu’elle ne peut produire. Voudrois-je ainsi consumer en un jour l’aliment de ma vie, et perdre mon être dans l’irrémédiable satiété ? non, je ne vous chercherois pas, séductions funestes, vanités périssables. Cependant je voudrois jouir, mais du plaisir qui ne se flétrit pas, de celui qui soutient la vie et qui dure comme elle. Je voudrois du pouvoir, celui d’arracher quelques hommes à l’oppression morale, et de les maintenir heureux sous leurs propres lois. Si mon nom devoit survivre à mes tranquilles années, je voudrois qu’il fût chéri des infortunés, et qu’il fût cité chez les amis des hommes ; je voudrois que ma mémoire rappelât des souvenirs heureux, qu’elle attachât mes enfans aux vertus douces, et servit à la prudence des vieillards pour former des hommes bons dans la génération naissante.

Mais que servent tous ces songes d’un bonheur qui ne nous est pas donné ? choisirons-nous des devoirs selon notre cœur, comme s’il nous étoit jamais permis de suivre son vœu ? Cependant cette supposition n’est pas chimérique ; il fut même un tems où elle parut probable, et l’avenir peut en amener la réalité, ou du moins en reproduire l’espérance.