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ronnent, ne sont pas au fond plus heureux que le manœuvre qui les envie et le paysan qu’ils dédaignent. Que sert-il donc que tant d’hommes soient sacrifiés à ces plaisirs imaginaires ? Les maux du plus grand nombre augmentent dans une progression terrible ; et la classe favorisée, loin d’en être plus heureuse, a perdu jusqu’à la faculté du bonheur. Comment justifier un ordre de choses qui ne sert à nul et nuit à presque tous ? Si parmi nous le meilleur sort, à tout prendre, est pour les moins malheureux d’entre les hommes du peuple, il est prouvé que nous n’avons travaillé que pour nos misères ; car apparemment l’on ne me contestera pas que cette classe, qui dans nos villes devrpit plutôt plaindre qu’envier les autres, ne soit plus heureuse encore chez les peuples simples, au moins par cela qu’elle n’y connoît point l’envie et tous les maux d’opinion ; et qu’elle n’y soit bien plu ? nombreuse, puisqu’au lieu d’y être une partie plus ou moins limitée de la nation, elle y est la nation toute entière. Pourroit-on comparer le peuple de nos capitales dans sa vie affligée de privations, de craintes, de jalousies, d’avilissement et de plaisirs incomplets, ou grossiers, aux montagnards nomades ; à la paix,