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notre vie à la continuité des plaisirs, elle nous conduit au dégoût de la vie. Ces deux états sont également mauvais. Nos affections intérieures sont aussi pénibles, nous sommes aussi misérables dans la satiété des plaisirs que dans l’excès des afflictions. Le bonheur de l’homme n’est que dans une sorte de mélange de jouissances et de peines[1]. Les vrais heureux ne se trouvent pas plus parmi ceux qui n’ont qu’à

  1. « La prudence est la santé de l’ame, dit Confucius : cette prudence consiste dans le choix du juste milieu ; et cette santé dans la persévérance du choix. Les maladies de l’ame sont dans les deux extrêmes ».
    Chum Yum, ou Traité de la modération.
    Pourquoi les extrêmes sont-ils vicieux ? parce qu’ils sont l’effet immodéré d’une impulsion unique. Rien n’est bon s’il n’est double ou multiple par ses causes, harmonique dans son résultat ; c’est le juste milieu, le point de l’équilibre. Le discernement de ce point, seul bon entre un nombre de plus ou moins imparfaits, est le goût de l’ordre, du juste, du mieux possible, des convenances de la nature. Les passions humaines sont orgueilleuses, ambitieuses ; ou aimantes, voluptueuses. La sagesse cherche leur point d’équilibre et de réunion réelle ; l’homme est parfait, il est tout ce qu’il peut être, s’il vit dans la permanence de cet équilibre.