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davantage que la première ; pourquoi la nature ne me l’a-t-elle pas donné à un degré supérieur ? pourquoi du moins ne me l’a-t-elle pas donné au même degré ? Mon intelligence ne pouvoit-elle se connoître comme mon corps se sent, et communiquer avec les autres intelligences par une sorte de tact certain comme celui des êtres corporels ? Ma vie actuelle, ma durée matérielle n’est point équivoque, pourquoi celle de mon ame est-elle douteuse ? Si je ne puis éprouver distinctement ce qui n’est point encore, du moins ne pourrois-je connoître ce qui est déjà pour les autres hommes ? et puisque mes sens me prouvent la vie mortelle des hommes qui m’entourent, pourquoi mon intelligence n’apperçoit-elle pas de même la vie immortelle de ceux qui viennent d’y entrer par leur mort visible ? Je marchois avec mon ami, la mort le frappe, il tombe ; son corps ne suit plus les mouvemens du mien, mais pourquoi sa pensée me quitte-t-elle aussi ? Si l’on me répond que les esprits ne peuvent communiquer que par l’entremise des corps, on me fournit une autre objection non moins forte ; car, dans l’union des deux substances, il n’est pas vraisemblable que l’une soit nécessaire à l’autre pour agir, sans que respectivement celle-ci le