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Alors il ne peut être bon citoyen que par devoir ; mais c’est le besoin et non le devoir qui conduit les hommes. Il raisonnera son patriotisme, mais le patriotisme ne se raisonne pas. Il sera retenu peut-être par ses possessions, par ses privilèges de citoyen, par des convenances accidentelles. Il ne quittera pas son pays, mais il en négligera les usages, il en oubliera l’esprit particulier ; citoyen au-dehors, il ne sera en effet qu’un habitant, un étranger. Tout se rapprochera et se confondra. Il arrivera dans les corps politiques ce que l’on voit dans les mélanges de diverses matières hétérogènes, mais non essentiellement inalliables. Dans la confusion elles se corrompent, et loin que ces diverses parties inconsidérément mélangées réunissent leurs qualités utiles dans le tout incohérent qu’elles composent, elles n’ont formé au contraire qu’une masse indigeste et stérile.

La conformité des habitudes et des besoins est le seul véritable lien parmi les hommes. Sans l’union, sans la paix réelle, il n’est pas de bonheur général ; cette paix, cette union sont impossibles entre des hommes qui ne sont point égaux ; et quelle égalité peut-on jamais prétendre hors de cette simplicité primitive qui suffisant à tous les besoins, dans une abon-