Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/191

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 181 )

résistible ennui, à l’ennui irrémédiable qui opprime sans relâche et consume avec une froide lenteur.

Les meilleures lois sont impuissantes si leur ouvrage n’est affermi par les mœurs ; c’est elles qui font un peuple ce qu’il doit être. C’est l’opinion qu’elles déterminent et les habitudes intérieures liées aux mœurs publiques, qui rendent les lois plus tolérables si elles sont austères ou erronées, plus douces encore si elles sont heureuses. Le lien de l’habitude fait qu’un seul est nécessaire à beaucoup et beaucoup nécessaires à lui. Il produit ce sentiment profond[1] qui reporte délicieusement notre idée vers les lieux qui nous ont vu naître, et, nous rendant toujours étrangers[2] au milieu de ce que n’ont point connu nos premiers ans, nous

  1. Sans ces motifs naturels, sans ce besoin de préférer sa patrie, le patriotisme n’est qu’un vain mot qui sert à pallier les vues particulières, ou un effort de vertu raisonnée que l’on ne peut attendre que de très-peu d’hommes. S’il importe que le patriotisme soit commun à tous les citoyens, il ne faut pas l’imposer comme un devoir, il faut en inspirer le sentiment irrésistible.
  2. On peut préférer soi et les siens aux autres hommes sans haïr ceux-ci, ou même sans ne les